Jardin Partagé

Rétrospective d'expérience collective
janvier 2023.

" Le jardin est le lieu où nous trouvons l'interdisciplinarité des sciences comme la botanique, la philosophie, la littérature ou les arts plastiques. "
FLORES FERNANDEZ Maria, Le jardin, entre spiritualité, poésie et projections sociétales, 2022.

Le jardin, au centre de l’exposition, rassemble. Il est aussi au centre de la pensée et de la méthodologie de recherche engagée par les cinq artistes plasticiennes qui le cultivent par leur recherche. S’est donc produit un tissage perpétuel entre les pratiques par la complémentarité des techniques, des matières et des pensées. Cette pensée commune cherche par ailleurs à créer tout en ayant le moins d’impacts possibles sur la biodiversité. La crise écologique dans laquelle nous vivons nous pousse à créer tout en respectant ce qui nous entoure. Utiliser des matériaux naturels ou de récupération, arpenter des chemins déjà tracés sont des actions fondamentales ……

 

Se réunir, faire avec et faire ensemble, permet un enrichissement personnel par le collectif, et inversement. C’est donc par cette démarche collective, représentative d’une méthode de recherche évolutive, qu’une carte blanche est aussi donnée, les laissant s’exprimer individuellement avec une pièce dévoilant leur pratique personnelle. 

Cette exposition, proposée par l’association Bíos-Faire et mise en place avec la complicité de la Maison des Arts de l’Université Bordeaux Montaigne, vous propose cette envie de découvrir et construire de nouveaux espaces de contemplation. Tout découle d’un cheminement, d’une expédition, d’un voyage où le regard s’aventure et dans lequel nous vous convions à en admirer les fragments.

Mêler le personnel au collectif.

Elina Moreno

Outils à usage unique ou et plâtres,

2022

dimensions variables,

céramique, émail blanc, plâtre, ciseau, masse, marteau à piquer.

 

 

 

 

Ces trois outils, le ciseau, la masse et le marteau à piquer peuvent servir à tailler le bois ou la pierre. Utilisés par les tailleurs de pierre ou les carriers, ces types d’outils tendent à être remplacés par des outils électriques modifiant ainsi les gestes de travail et le rapport au matériau. Le rapport entre l’usager (les carriers, tailleurs et artisans de la pierre) et son outil transparaissait de plusieurs façons. 

D’abord, le carrier pouvait graver ses initiales sur l’outil pour montrer que cet objet était sa possession. Ensuite, certains artisans modifient des outils préfabriqués en les adaptant à leur besoins, à leur morphologie ou à une technique de taille particulière. Contrairement à la machine, l’outil est personnalisable et surtout modelable.

 

 

L’outil est un objet fabriqué doté d’une forme et de propriétés physiques adaptées à un usage et une production déterminée. L’usage de la technique de coulage de barbotine dans un moule en plâtre renvoie à l’aspect reproductible de ce type d’outil, néanmoins cela reste une technique de moulage pointue, difficile à maîtriser et dont le rendu peut parfois présenter des aspérités. En outre, chaque outils reproduit est unique en fonction de chaque coulée. 

Bien que réalisés en céramique, donc dans un matériau fragile, ces outils peuvent être utilisés mais leur durée de vie sera réduite à seulement quelques utilisations ou même à un usage unique en fonction de l’intention de son utilisateur. La céramique permet donc d’expérimenter la force du geste et le son du choc entre les matières.

L’expérience de taille sera courte mais d’une sonorité unique.

La pierre l’emporte sur l’outil.

Jaulène Lachaud

La lumière de la cire
2023
190 cm x 130 cm
cire d‘abeille, tissu de récupération, oeillets de récupération et fil.

 

La lumière est un élément que l’on peut créer, mais qu’on ne peut attraper. Pourtant, ici, elle semble être capturée et imprégnée dans la cire d’abeille, faisant corps avec la matière, créant la matière. Elle sculpte la cire, lui donnant ces pleins et creux, laissant paraître un mouvement, une écriture. Grâce à la lueur de cette clarté, dont l’origine est ici mélangée entre lumière artificielle et naturelle, des formes apparaissent sur le tissu. Ces formes peu visibles dans l’ombre surviennent peu à peu, et permettent à l’installation de prendre vie.

La matière, plus ou moins épaisse, permet justement de laisser entrer la lumière en elle, offrant à notre regard des jeux et de transparences. C’est cette source lumineuse qui amplifie les contrastes et nous permet de remarquer plus de bosses, de courbes, d’aspérités diverses, donne l’impression d’une certaine organicité. Cela renforce aussi la couleur de la matière et lui permet des nuances. 

 

La production d’une forme organique avec la cire d’abeille permet de mettre en œuvre de multiples techniques avec la cire. La cire est chauffée puis appliquée sur le tissu de la structure. Elle a été modelée de différentes manières. Il y a notamment eu un travail au pinceau ainsi qu’un travail de coulure puis de gravure. Cette forme a donc fait l’objet de plusieurs expériences de la matière. C’est une sculpture réalisée couche après couche, séchage après séchage. 

 

Enfin, « Tout est à nous, tout est pour nous, quand nous retrouvons dans nos songes ou dans la communication des songes des autres les racines de la simplicité1. » Cette création est le résultat de ce réseau racinaire de recherche expérimentale développée personnellement ainsi que dans le cadre du collectif. Elle est un mycélium de cire.

 

1 BACHELARD Gaston, La flamme d’une chandelle, ch.1 « Le passé des chandelles », PUF, 2020, p. 21.

Johanna De azevedo

Hybridations minérales 

2022

dimensions variables

cailloux, céramique émaillée.

 

 

 

Cette pièce est une expérimentation de matières entre le minéral et la céramique. Lors de différents arpentages, sur plusieurs terrains de recherches, une collection de divers cailloux s’est constituée. Un travail de modelage pour chaque caillou choisi s’est alors effectué afin de détourner cet objet minéral. Cette pièce révèle une confrontation entre deux matières, la pierre et la céramique, par le modelage d’une excroissance sur la matière directement trouvée dans le paysage et celle trouvée dans l’atelier.

 

 

 

 

Chaque forme modelée s’imbrique à son caillou. Les excroissances en céramique, après avoir été modelées sont cuites puis émaillées pour ensuite être ré-imbriquées. Elles forment ainsi une hybridation minérale, comme si cette matière avait une nouvelle croissance après l’extraction faite dans le paysage.

 
 

Marie Som

Terre de culture,

2023

dimensions variables,

terre et graines.

 

 

Sainte terre qui accueille en son sein de nouvelles vies à venir. Telle une belle hétérotopie1, ce tapis de terre représente un nouveau microcosme pour de futures cultures. Délimité par une frontière physique, ce jardin reprend les codes des jardins persans. Ils constituaient un espace sacré dans lequel les quatre parties du monde étaient représentées dans l’espace rectangulaire dont ils disposaient. À l’image d’un tapis, cette pièce devient un jardin mobile à travers l’espace et vient s’immiscer dans l’habitat.  Les notions de jardin « domestique » et « sauvage »2 viennent alors s’entrechoquer puisqu’il est question ici de faire coexister un espace délimité avec des espèces végétales qui pousseront de façon aléatoire. Afin de pouvoir créer cette cohabitation entre humain et végétal, il est évident que chacun doit être attentif aux besoins des autres. Par de simples gestes, l’être humain soignera les espèces végétales à venir, ainsi lorsque celles-ci pousseront, elles lui offriront leur bienfaits. 

Les graines plantées en ce lieu donneront à voir des plantes aromatiques réputées pour leur vertues médicinales. Le Thym par exemple est un antiseptique et antifongique, le Romarin quant-à lui préviendra des rhumatismes et d’éventuelles fatigues. D’autres graines qui proviennent de récoltes passées laisseront naître des espèces végétales variées. 

 

 

1. Dans sa conférence Des espaces autres, Michel Foucault parle du concept de l’hétérotopie, il définit les hétérotopies comme une localisation physique de l’utopie. FOUCAULT Michel, « Des espaces autres », conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, in Architecture, Mouvement, Continuité, no 5 (1984), «  troisième principe », [en ligne : url, https://foucault.info/documents/heterotopia/ foucault.heteroTopia.fr/ ].

2. DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Trebaseleghe, Gallimard, 2005, p.72-113.

 

Manon Guenard

Réhabiliter, jeter,

2021

16 : 04 min

vidéo.

 

Le projet Réhabiliter, Jeter, mené lors d’une résidence collective au Frasnois (Jura) intitulé Cairn, expérience sur le travail du regard, s’est construit autour de la découverte d’un bivouac abandonné  qui dépérissait sous la neige mais aussi de la réhabilitation d’une cabane, situé au bord du lac du Grand Maclu. Ce projet vidéographique divisé en trois actes, relate les différentes actions de nettoyage qu’ont demandées ces deux sites. Avant leur découverte et pendant différentes phases d’arpentage collectif des lieux, des collectes de déchets ont été réalisées à différents endroits.  Sac, gants et sécateur à la main, dans cette zone classée Natura 2000. Ces collectes minimales, demandaient un effort physique léger puisque répartis dans des sacs, les déchets pouvaient être amenés de leur lieu de trouvaille à des conteneurs, à pied.

Mais dans le cas du bivouac et de la cabane, il s’agissait de collecte et d’action de nettoyage qui demandaient bien plus de moyens et de bras. La collecte de déchets est une action écologique mais aussi sociale de par son caractère collectif. On peut penser au concept de sculpture sociale engendré par Joseph Beuys dans les années 80. Comme nous l’explique Didier Semin : « Beuys ne renonça jamais à l’idée d’un “ concept élargi de l’art ” qui prendrait en compte les problèmes politiques et sociaux. La plus fameuse de ses maximes, “ Jeder Mensch ist ein Künstler ” (Tout homme est un artiste), doit être comprise dans cette perspective : elle ne reconnaît pas à tout un chacun un don inné pour la peinture ou la musique, elle définit comme art toute activité sociale menée en conscience, et vante “ la capacité d’une infirmière ou d’un agriculteur à devenir une puissance créative, et à la reconnaître comme une partie d’un devoir artistique à accomplir ” (J. Beuys, Discours sur mon pays, 1985)1. » 

Ce projet collectif et artistique rentre dans la définition de sculpture sociale, car elle invite le spectateur à devenir acteur capable d’intervenir sur son environnement. Mais surtout, à la manière de l’action menée sur le bivouac, il s’agit d’un geste quasiment invisible dans l’instant, mais qui sera bénéfique sur la durée. En effet, c’est par différents gestes gommant les dégradations que le bivouac n’existe plus, et qui seront sûrement la conséquence de nouvelles apparitions végétales ou animales. 

L’action de nettoyage et de réaménagement de la cabane au bord du lac du Grand Maclu,fut plus visible dans l’instant, cela était sûrement dû au fait qu’il s’agissait d’une cabane, construction humaine rudimentaire et habitable une fois désencombrée, à l’inverse de la parcelle de forêt où se trouvait le bivouac. On peut penser à l’action collective de balayage Ausfegen mené sur la place Karl Marx le 1 Mai 1972 lors de la fête du travail, où Joseph Beuys accompagné de deux étudiants ont nettoyé la place après le passage d’un cortège, puis les déchets récoltés ont été exposés dans une galerie. L’utilisation du balais par l’artiste rend son statut accessible aux spectateurs, et à l’inverse, rend le spectateur capable d’actes artistiques. On peut penser à Robert Filliou et sa célèbre expression: « l’art est ce qui permet de rendre la vie plus intéressante que l’art. ».

En effet, l’utilisation de gestes quotidiens à des fins artistiques permet de rapprocher l’art de la vie. Par ailleurs, les prochains visiteurs de la cabane au bord du lac ne remarqueront sûrement pas notre passage, et ne se douteront jamais du monticule d’ordure qui était entassé à l’intérieur. L’Acte 2, de Réhabiliter, Jeter, est consacré à cette expérience collective de réhabilitation. Le médium vidéo permet donc une restitution et un partage de l’expérience qui, sur le lieu, n’est pas palpable. Le terme d’expérience est sûrement le plus propice pour traduire ce qui a été fait sur le site, car la vidéo ne montre pas le résultat en soi mais bien la mouvance des corps qui ont permis ce réaménagement. La propreté rendue à la cabane est aussi importante que le processus de nettoyage qui a permis de la rendre vivable. 

 

 

 

1. SEMIN Didier, « BEUYS JOSEPH – (1921-1986) », Encyclopædia Universalis [en ligne],  http://www.universalis-edu.com.ezproxy.u-bordeaux-montaigne.fr/encyclopedie/joseph-beuys/, (consulté le 4 mai 2022).

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